Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/369

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le premier aux arrêts du destin. On dépose sur la rive, on lègue à la cité future tous ceux dont les fatigues n’aspirent qu’au repos : âmes vulgaires, pour qui la gloire est sans attraits. Les autres courent à l’envi restaurer les ponts, remplacer les mâts mutilés par les flammes, renouveler de toutes parts et les rames et les cordages : leur nombre est faible, mais leur bouillant courage ne connaît point d’obstacles.

En même temps Énée, guidant lui-même le soc de le charrue, trace l’enceinte des nouveaux remparts, et marque au gré du sort l’emplacement des édifices. Là doit être Ilion, — ici Troie va renaître : douces images pour Aceste ! Troyen, il régnera sur une cité troyenne. Ailleurs c’est le forum ; et plus loin c’est le sénat, noble assemblée des sages, organes de la justice. Ce temple qui s’élève au sommet de l’Éryx, et dont le faîte superbe avoisine les nues, c’est le temple de Vénus Idalienne : placé près du tombeau d’Anchise, un prêtre y veille à son culte ; et la cendre d’un demi-dieu repose environnée d’un bois sacré. Déjà l’Aurore avait éclairé neuf fois les banquets du peuple et les honneurs rendus aux Immortels. Enfin les vents paisibles ont aplani les ondes ; et l’Auster au souffle propice rappelle sur les mers la nef impatiente. Que de regrets alors éclatent le long du rivage ! que d’embrassemens ! que de larmes ! La nuit passe, le jour lui succède, et l’on ne peut se séparer. Jusqu’aux mères craintives, jusqu’aux vieillards débiles, que faisaient pâlir naguère la seule vue des gouffres humides et la seule idée des orages, tous brûlent de reprendre, de poursuivre leur course périlleuse.