Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/443

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caresses de Carthage ! » — « C’est votre image, ô mon père, votre image affligée, qui, souvent présente à ma vue, m’a fait affronter les enfers. Mes nefs reposent aux rivages de Tyrrhène. Souffrez, noble auteur de ma vie, souffrez que ma main touche la vôtre ; ne vous dérobez point, hélas ! à mes embrassemens. » Il parlait, et des torrens de larmes inondaient son visage. Trois fois ses bras s’étendent pour enlacer l’ombre divine : trois fois l’impalpable image échappe aux mains qu’elle abuse, semblable aux vents légers, pareille au songe qui s’envole.

Cependant Énée, jetant au loin ses regards, voit dans l’enfoncement du vallon un bocage solitaire ; séjour tranquille, où le zéphyr se joue en murmurant à travers le feuillage, et que borde en son cours le paisible Léthé. Là voltigeaient, le long des rives, des légions d’ombres légères. Telles dans les prairies, durant les beaux jours de l’été, d’innombrables abeilles assiégent le calice des fleurs, et se répandent, en bourdonnant, autour des lis argentés : la vaste plaine résonne au loin d’un bruit confus. Frappé de ce concours tumultueux, le prince en cherche la cause : Quel est ce fleuve aux eaux dormantes ? Pourquoi cette foule empressée dont les flots couvrent ces rivages ? » — « Ces âmes, dit Anchise, sont destinées à régir de nouveaux corps ; elles boivent, aux ondes du Léthé, la douce quiétude et l’éternel oubli. Combien je désirais t’apprendre leur illustre avenir, te les montrer elles-mêmes, et dénombrer avec toi, dans leur brillante élite, les héros futurs de mon sang ! Viens ; cet aspect te rendra plus chers les bords