Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/49

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a fait taire le cri du besoin, quand les tables sont desservies, chacun donne de longs regrets aux compagnons qu’il a perdus. On espère, on craint tour-à-tour. Respirent-ils encore ? ou, déjà couverts des ombres du trépas, n’entendent-ils plus la voix qui les appelle ? Énée surtout, Énée gémit : tantôt il pleure en secret le puissant Amycus, ou le vaillant Oronte ; tantôt il redemande aux dieux l’infortuné Lycus, et le brave Gyas, et le valeureux Cloanthe.

Ainsi le jour s’écoule. Cependant Jupiter, assis sur le trône des cieux, contemplait l’immense Océan et ses lointains rivages, les vastes contrées de la terre et les cités nombreuses qui couvrent sa surface. Du haut de la voûte éthérée, ses regards s’arrêtent sur la Libye, et considèrent les empires épars sur les bords Africains. Tandis que sa pensée pèse le sort des nations, Vénus, belle de sa tristesse et des larmes touchantes qui baignent ses yeux divins, Vénus l’aborde en soupirant : « Ô vous, dont l’éternelle sagesse régit la destinée des mortels et des dieux ! vous dont la foudre épouvante le monde ! quel si noir attentat peut vous armer contre mon fils ? Qu’ont pu faire les Troyens, pour mériter votre vengeance ? Hélas ! après tant d’infortunes, faut-il à cause de l’Ausonie leur fermer l’univers ? De leur sang devait sortir un jour un peuple de héros ; un jour, dans le long cours des siècles, les Romains triomphans, nobles rejetons de Teucer, devaient ranger la terre et l’onde sous leurs lois souveraines : telles étaient vos promesses. Ô mon père ! qui vous a fait changer ? Du moins ce doux espoir me consolait du désastre