Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/57

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Cependant le sage Énée roulait dans la nuit silencieuse mille pensers divers. À peine a lui la douce aurore, il s’arrache au repos, et songe à visiter ces contrées nouvelles pour lui. Sur quels bords l’a jeté la tempête ? Ces lieux, qu’il voit incultes, ont-ils pour hôtes des humains ou des monstres sauvages ? Il brûle de s’en instruire, et d’éclairer ses compagnons par un rapport fidèle. D’abord il met sa flotte à couvert dans l’enfoncement des bois, sous un rocher caverneux, où des chênes touffus la protègent du noir rempart de leur ombre. Ensuite il s’avance lui-même accompagné du seul Achate, et la main armée de deux javelots, munis d’un large fer. Soudain, au milieu de ces bois, Vénus se présente à son fils. Cachée sous les traits d’une vierge de Sparte, Vénus en a les grâces, le port, et les armes : moins belle est Harpalice, fatigant un coursier rapide sur les monts de la Thrace, et devançant dans sa course le vol agile de l’Eurus. On voit flotter sur les épaules de la Déesse le carquois léger des chasseurs : les vents se jouent dans ses cheveux épars ; et sa robe, que relève un nœud d’or, s’ouvre en plis ondoyans au-dessus d’un genou d’albâtre. « Guerriers, dit-elle en approchant, une de mes compagnes parcourait avec moi ces lieux, l’arc en main, et parée des dépouilles d’un lynx au poil marqué de feu. Ne l’auriez-vous point aperçue, errante autour de ces montagnes, ou pressant à grands cris la fuite d’un sanglier écumant ? »

Ainsi parla Vénus. Le fils de Vénus répond : « Aucune de vos compagnes ne s’est offerte à mes yeux ; nulle voix n’a frappé mon oreille. Mais vous, ô quel