Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/217

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soustraire. » Turnus, sans s’émouvoir, répond avec un froid sourire : « Hé bien, voyons ce courage si fier ! viens éprouver tes forces : tu pourras conter à Priam que l’Ausonie a son Achille. » Il dit : l’autre, redoublant de vigueur, fait voler un javelot noueux, hérissé de son épaisse écorce. Le coup s’est perdu dans les airs : la fille de Saturne en a détourné la blessure, et le bois acéré s’enfonce dans la porte. « Va ; ce fer, que balance mon bras puissant, tu ne l’éviteras pas ainsi : l’arme est plus sûre, et le coup plus certain. »

Ainsi parle Turnus ; et levant son cimeterre, il se dresse d’un air terrible : soudain le tranchant fatal partage le front du colosse, et fend d’une horrible plaie ses joues encore imberbes. Au bruit de sa chute, les airs ont retenti ; la terre tremble, ébranlée sous le poids gigantesque : son cadavre sans vie, ses armes, que souille sa cervelle sanglante, gisent étendus dans la poussière ; et sur chacune de ses épaules chaque part de sa tête retombe suspendue.

Saisis d’épouvante et d’horreur, les Troyens fuient et se dispersent : et si, dans ce moment, le vainqueur n’eût manqué de prudence ; si sa main eût rompu les barrières, eût ouvert les remparts aux Rutules, ce jour voyait finir la guerre, et Troie achevait d’expirer. Mais la fureur, mais la soif effrénée du carnage, ont acharné le bouillant Turnus à la poursuite des vaincus. D’abord il perce Phaleris, il renverse Gygès sur ses genoux sanglans ; et les dards qu’il arrache de leurs mains, il en harcelle les fuyards : Junon le remplit de force et d’audace. À ces premières victimes