Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/271

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du pavois, il effleure en glissant le corps du grand Turnus. Turnus, alors, saisit une lourde javeline armée d’un fer aigu, et la balançant à loisir, la fait siffler contre Pallas : « Tiens, dit-il, vois si mes traits percent mieux que les tiens. » Il parlait ; et, malgré les triples lames et de fer et d’airain, malgré les cuirs durcis reployés l’un sur l’autre, la pointe meurtrière perce d’un coup affreux le bouclier du fils d’Évandre, traverse l’épaisseur de sa cuirasse, et se plonge au fond de son cœur. L’intrépide Pallas arrache en vain le dard fumant de ses entrailles ; et son sang et sa vie s’échappent à la fois par la même blessure. Il tombe sur sa plaie : ses armes retentissent de sa chute ; et, de sa bouche ensanglantée, il mord en expirant le rivage ennemi.

Turnus, insultant à ces tristes restes : « Arcadiens, dit-il, retenez mes paroles, et portez-les à votre maître. Tel qu’il l’a mérité, je lui renvoie Pallas. Qu’il lui dresse un tombeau, qu’il lui rende les honneurs de la sépulture, je lui permets ce vain soulagement : il aura payé cher la foi promise aux Troyens ! » Il dit ; et foulant d’un pied barbare son rival qui n’est plus, il le dépouille de son riche baudrier, large et superbe ornement, où revit un noir attentat ; où, frappés tous ensemble dans la nuit nuptiale, cinquante jeunes époux abreuvent de leur sang la couche des pâles Danaïdes. Ouvrage de Clonus, fils d’Eurytion, ce merveilleux travail était gravé sur l’or. Turnus se pare avec orgueil de ce brillant trophée, et s’applaudit de sa conquête. Fatal aveuglement des hommes, qui leur dérobe l’avenir et leurs destins