Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/287

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l’air de ses cris, le Rutule abusé poursuit le vain fantôme, et fait briller les éclairs de son glaive : aveugle ! il ne voit pas que les vents emportent sa victoire et sa joie.

Un navire se présente : amarré contre un roc sauvage, il avait naguère amené des parages de Clusium le puissant Osinius ; et ses échelles dressées encore, ses ponts encore abattus, offraient un facile abord. L’image tremblante du héros fugitif s’y jette dans un recoin obscur : toujours impétueux, Turnus vole après elle ; rien ne l’arrête, il franchit les ponts escarpés. À peine a-t-il touché la proue, que la fille de Saturne rompt les câbles, arrache la nef au rivage, et l’entraîne au loin sur les mers écumantes.

Cependant Énée appelle en vain au combat son rival absent, et précipite aux enfers tout ce qui s’offre à ses coups. Alors l’ombre légère ne s’amuse plus à se cacher ; mais s’élevant dans les airs, elle s’évapore au sein de la nue ténébreuse, et laisse errer Turnus au gré des vents et des eaux. Il regarde, et ne voit plus la rive. Indigné d’un bienfait dont il ignore le mystère, il maudit le bras qui le sauve ; et levant au ciel ses deux mains frémissantes, il s’écrie furieux : « Jupiter tout-puissant ! est-ce moi que vous flétrissez d’un pareil opprobre ? me réserviez-vous à cet affreux destin ? Où vais-je ? d’où viens-je ? où suis-je ? Quelle fuite, ô ciel ! et comment reparaître ? Pourrai-je revoir encore Laurente, et ses murs, et mon camp ? Que diront tous ces braves dont la foule a suivi mes pas, a servi ma fortune, et que je laisse, horrible idée ! sous