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L’ÉNÉIDE, LIV. XII.

changer sans cesse ? quelle folle inconstance se joue de ma raison ? Si, Turnus expiré, je puis associer un jour Pergame à l’Ausonie ; ne puis-je, sans qu’il périsse, mettre un terme à leurs discords ? Que diraient les Rutules, mes plus fidèles alliés ; que dirait l’Italie entière, si ma faiblesse (puisse le ciel détourner ce présage !) vous livrait à la mort, pour prix d’avoir recherché ma fille et demandé mon alliance ? Songez au sort incertain des armes : ayez pitié d’un père accablé de vieillesse, et qui, loin de vous dans Ardée, pleure en ce moment votre absence. »

Ces mots ne calment point la violence de Turnus : son cœur ulcéré s’enflamme davantage, et le remède même en aigrit la blessure. Dès qu’il peut parler, il réplique en ces termes : « Ces tendres soins que vous inspire mon salut, daignez, prince, les épargner à votre sollicitude ; et souffrez que je sauve ma gloire aux dépens de mes jours. Mon bras aussi sait manier le fer, sait lancer des traits vainqueurs ; et le sang, plus d’une fois, a suivi leur blessure. Ce fils d’une déesse n’aura pas toujours Vénus à ses côtés, pour couvrir d’un nuage la honte de sa fuite, et se cacher elle-même au sein d’une ombre vaine. »

Cependant, effrayée des hasards du nouveau combat qui s’apprête, la reine fondait en larmes, et, le désespoir dans l’âme, retenait de ses mains tremblantes l’impétueux guerrier : « Turnus, ah ! si mes pleurs vous touchent, si l’honneur d’Amate vous est cher, arrêtez, je vous en conjure : arrêtez, ô vous l’unique espoir de ma vieillesse, vous ma seule