Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/421

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Ainsi mêlée parmi les combattans, la Nymphe artificieuse y sème en courant mille adroites rumeurs, et stimule en ces mots les courages ébranlés : « Quelle honte, ô Rutules ! vous souffrez qu’un seul homme s’expose pour toute une armée ! Quoi donc ? sommes-nous moins nombreux, sommes-nous moins vaillans ? Les voilà tous réunis, ces Troyens si braves, et ces fiers Arcadiens, et ces redoutables Toscans, armés contre Turnus sur la foi des oracles : les voilà ; qu’ils nous affrontent corps à corps, et chacun de nous à peine aura son adversaire. Ah ! sans doute, quand Turnus se dévoue pour son peuple, la gloire de ce héros va monter jusqu’aux cieux, et sa mémoire vivra dans tous les âges ; mais nous, sans patrie, sans honneur, il nous faudra ramper sous des maîtres superbes, nous qui, paisibles en ces momens d’alarmes, reposons oisifs près de nos glaives inutiles. »

Elle parle ; tout s’enflamme d’une ardeur belliqueuse : le tumulte s’accroît, un long murmure circule de rangs en rangs. Les Laurentins rougissent de leurs premiers desseins, les Latins ne sont plus les mêmes : ils soupiraient naguère après la fin des combats, après le terme de leurs maux ; maintenant ils ne respirent que la guerre, ils menacent de rompre un pacte qu’ils détestent, et leur pitié gémit sur le triste sort de Turnus.

Au prestige de ses discours, Juturne ajoute encore un prestige plus puissant : elle fait paraître dans les airs un prodige trompeur, dont la merveille achève d’égarer l’esprit des Ausoniens et les repaît d’un fol