Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/429

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cris ses soldats : « Où courez-vous ? quel délire subit rallume ainsi la guerre ? Ah ! modérez ces transports ! Un saint traité nous lie, et ses lois sont irrévocables. Moi seul je dois combattre ; laissez-moi l’honneur de la lutte, et calmez vos alarmes : mon glaive ratifiera la paix. Turnus me doit sa tête ; ces autels en sont garans. » Il parlait encore ; soudain un dard ailé traverse les airs en sifflant, et vient frapper le héros. Quelle main le décocha ? quelle aveugle fureur en dirigea le vol ? est-ce un caprice du hasard, est-ce la faveur d’un dieu, qui procura ce triomphe insigne aux Rutules ? on l’ignore. La gloire d’un si haut fait resta cachée dans l’ombre, et nul ne se vanta de la blessure du grand Énée.

Dès que Turnus a vu son rival s’éloigner de ce champ funeste, et les chefs des Troyens pâlir déconcertés, l’espérance renaît dans son âme, il reprend sa bouillante audace : « Mes coursiers ! mes armes ! » s’écrie-t-il ; et superbe, il s’élance sur son char, lui-même il en saisit les rênes. Dans son rapide essor, il plonge aux Enfers nombre d’âmes généreuses, renverse sur les morts des milliers de mourans, écrase les bataillons sous ses roues enflammées ; et s’armant des dards mêmes qu’il arrache aux vaincus, il en accable ceux que la terreur fait fuir. Tel, aux bords de l’Hèbre glacé, l’impitoyable Mars, altéré de sang, agite avec fracas ses redoutables armes, et, déchaînant la guerre, abandonne les rênes à ses coursiers furieux : ils volent, franchissant les plaines, plus prompts que la foudre et les vents : la Thrace gémit au loin sous leur course bruyante : autour du dieu,