Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/463

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embrasée ; d’une tour, mouvant édifice, dont il avait lui-même élevé l’immense assemblage, que lui-même avait assise sur des orbes roulans, dont il avait dressé lui-même les ponts suspendus dans les airs. « Ah ! c’en est fait, ma sœur ; les destins l’emportent : cesse de me retenir. Courons où les dieux m’appellent, où m’entraîne le sort impitoyable. Oui, je vole affronter Énée ; oui, tout ce que la mort a d’affreux, je suis prêt à le subir : Juturne ne verra point son frère souillé d’un plus long déshonneur. Laisse, ah ! laisse, avant qu’il périsse, Turnus s’abandonner à tous les transports de sa rage. » Il dit, et saute en même temps de son char dans la plaine, se précipite au milieu des ennemis, au milieu des traits et des feux, laisse Juturne désolée à la merci de ses douleurs, et dans sa course rapide frappe, enfonce et disperse les bataillons tremblans.

Comme on voit s’écrouler du sommet des montagnes un roc ébranlé par les vents, lorsque les pluies orageuses l’ont ruiné dans sa base, ou que le temps rongeur en a miné les racines profondes : la masse épouvantable, dont le poids augmente la vitesse, roule avec fracas de sa cime escarpée, bondit au loin dans les champs, et foudroie, sur son passage, forêts, troupeaux et pasteurs : tel, à travers les phalanges rompues, Turnus s’élance vers les forts assiégés, aux lieux où la terre fume inondée d’un sang plus épais, où l’air siffle assailli d’une grêle de dards plus affreuse. Là, d’un signe de sa main, il arrête ses guerriers ; et sa voix fière leur commande en ces mots : « Cessez, Rutules ; et vous, Latins, posez le fer. Quel