Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/487

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victime, le fait voler d’un bras terrible. Avec moins de fracas tonnent contre les remparts les rocs lancés par la baliste ; avec un bruit moins affreux retentissent dans la nue les éclats de la foudre. Pareil au noir tourbillon, le dard fend les airs, portant avec lui la douleur et la mort : il traverse les bords du bouclier aux sept lames d’airain, perce du même essor l’extrémité de la cuirasse, et s’enfonce en sifflant dans la cuisse du Rutule. À ce coup foudroyant, le fier Turnus ploie les genoux, et son vaste corps va mesurer la terre. Un cri lamentable s’élève parmi les Rutules : les montagnes d’alentour y répondent en mugissant, et les forêts profondes retentissent au loin de ce lugubre murmure. Alors humble et soumis, Turnus lève un œil languissant et des mains suppliantes : « J’ai mérité mon sort, dit-il ; et je ne demande point la vie. Use de ton bonheur. Mais si l’affliction d’un père infortuné peut attendrir ton âme, aie pitié, je t’en conjure au nom d’Anchise… hélas ! ton père aussi fut courbé sous le poids des ans… aie pitié de la vieillesse du malheureux Daunus : rends un fils, ou du moins les restes d’un fils, aux douleurs paternelles. Tu m’as vaincu, et l’Ausonie a vu Turnus tendre vers son vainqueur une main désarmée : Lavinie est ton épouse : n’étends point ta haine au-delà du tombeau. »

À cette voix plaintive, Énée, malgré son courroux, a retenu son bras : il roule un œil incertain sur son rival, et le glaive prêt à frapper s’arrête suspendu. Déjà sa grande âme fléchie s’ouvrait à la pitié, quand tout à coup il voit briller sur les flancs du Rutule