Page:Virgile L’Énéide Traduction de Jacques Delille - Tome 1.djvu/49

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Moi qui, jadis assis sous l’ombrage des hêtres,
Essayai quelques airs sur mes pipeaux champêtres,
Qui depuis, pour les champs désertant les forêts,
Et soumettant la terre aux enfants de Cérès,
La forçai de répondre à leur avide attente ;
Désormais, entonnant la trompette éclatante,
Je chante les combats et ce guerrier pieux
Qui, banni par le sort des champs de ses aïeux,
Et des bords phrygiens, conduit dans l’Ausonie,
Aborda le premier aux champs de Lavinie.
Errant en cent climats, triste jouet des flots,
Longtemps le sort cruel poursuivit ce héros,
Et servit de Junon la haine infatigable.
Que n’imagina point la déesse implacable,
Alors qu’il disputait à cent peuples fameux
Cet asile incertain tant promis à ses dieux,
Et préparait de loin la race ausonienne,
L’empire des Albains et la grandeur romaine !
Muse, raconte-moi ces grands événements ;
Dis pourquoi de Junon les fiers ressentiments,
Poursuivant en tous lieux le malheureux Enée,
Troublèrent si longtemps la haute destinée
D’un prince magnanime, humain, religieux :
Tant de fiel entre-t-il dans les âmes des dieux.
A l’opposé du Tibre et des champs d’Ausonie,
Des riches Tyriens heureuse colonie,
Carthage élève aux cieux ses superbes remparts,
Séjour de la fortune et le temple des arts.
Aucun lieu pour Junon n’eut jamais tant de charmes,
Samos lui plaisait moins. C’est là qu’étaient ses armes,