Page:Virgile L’Énéide Traduction de Jacques Delille - Tome 1.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’est là qu’était son char ; là son superbe espoir
Veut voir la terre entière adorer son pouvoir.
Mais un bruit menaçant vient alarmer son âme :
Un jour doit s’élever, des cendres de Pergame,
Un peuple de sa ville orgueilleux destructeur,
Et du monde conquis vaste dominateur :
Du sort impérieux tel est l’ordre suprême.
Tremblante pour sa gloire, et pour les Grecs qu’elle aime,
Se rappelant encor tous ces fameux combats
Que pour ces Grecs chéris avait livrés son bras,
Une autre injure parle à son âme indignée :
Par un berger troyen sa beauté dédaignée,
L’odieux jugement qui fit rougir son front,
Hébé pour Ganymède essuyant un affront,
Tout l’irrite à la fois, et sa haine bravée
Vit au fond de son cœur profondément gravée.
Aussi, du Latium fermant tous les chemins
Aux vaincus épargnés par les Grecs inhumains,
Sa haine insatiable en tous lieux suit sa proie,
Et défend l’Ausonie aux grands destins de Troie.
L’inflexible destin secondant son orgueil,
De rivage en rivage, et d’écueil en écueil,
Prolongeait leur exil : tant dut coûter de peine

Ce long enfantement de la grandeur romaine !
Cependant les Troyens, après de longs efforts,
Des champs trinacriens avaient rasé les bords ;
Déjà leurs nefs, perdant l’aspect de la Sicile,
Voguaient à pleine voile, et de l’onde docile
Fendaient d’un cours heureux les bouillons écumants,
Quand la fière Junon, de ses ressentiments
Nourrissant dans son cœur la blessure immortelle,
« Quoi ! sur moi les Troyens l’emporteraient ! dit-elle,
Et de ces fugitifs le misérable roi
Pourrait dans l’Italie aborder malgré moi !