Page:Virgile L’Énéide Traduction de Jacques Delille - Tome 1.djvu/53

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Le destin, me dit-on, s’oppose à ma demande :
Junon doit obéir quand le destin commande.
Pergame impunément a donc pu m’outrager ?
Seule entre tous les dieux je ne puis me venger ?
O fureur ! Quoi ! Pallas, une simple déesse,
A bien pu foudroyer les vaisseaux de la Grèce ;
Soldats, chefs, matelots, tout périt sous ses yeux :
Pourquoi ? pour quelques torts d’un jeune furieux.
Elle-même, tonnant du milieu des nuages,
Bouleversa les mers, déchaîna les orages,
Dans un noir tourbillon saisit l’infortuné
Qui vomissait des feux de son flanc sillonné,
Et de son corps, lancé sur des roches perçantes,
Attacha les lambeaux à leurs pointes sanglantes !
Et moi, qui marche égale au souverain des cieux,
Moi, l’épouse, la sœur du plus puissant des dieux,
Armant contre un seul peuple et le ciel et la terre,
Vainement je me lasse à lui livrer la guerre.
Suis-je encore Junon ? et qui d’un vain encens
Fera fumer encor mes autels impuissants ? »
En prononçant ces mots, la déesse en furie
Vers ces antres, d’Eole orageuse patrie,
Précipite son char. Là, sous de vastes monts,
Le dieu tient enchaînés dans leurs gouffres profond
Les vents tumultueux, les tempêtes bruyantes ;
S’agitant de fureur dans leurs prisons tremblantes,
Ils luttent en grondant, ils s’indignent du frein.
Au haut de son rocher, assis le sceptre en main,
Eole leur commande ; il maîtrise, il tempère
Du peuple impétueux l’indocile colère :
S’ils n’étaient retenus, soudain cieux, terre, mers,
Devant eux rouleraient emportés dans les airs.
Aussi, pour réprimer leur fougue vagabonde,
Jupiter leur creusa cette prison profonde,
Entassa des rochers sur cet affreux séjour,
Et leur donna pour maître un roi qui, tour à tour
Irritant par son ordre, ou calmant leurs haleines,
Sût tantôt resserrer, tantôt lâcher les rênes.