Page:Virgile L’Énéide Traduction de Jacques Delille - Tome 1.djvu/55

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Devant lui la déesse abaissant sa hauteur :
« Roi des vents, lui dit-elle avec un air flatteur,
Vous à qui mon époux, le souverain du monde,
Permit et d’apaiser et de soulever l’onde !
Un peuple que je hais, et qui, malgré Junon,
Ose aux champs des Latins transporter Ilion,
Avec ses dieux vaincus fend les mers d’Etrurie :
Commandez à vos vents de servir ma furie ;
Dispersez sur les mers ou noyez leurs vaisseaux,
Et de leurs corps épars couvrez au loin les eaux.
Douze jeunes beautés ornent ma cour brillante ;
Déiope, la plus jeune et la plus séduisante,
Unie à vos destins par les nœuds les plus doux,
Acquittera les soins que j’exige de vous ;
Et d’Eole à jamais la compagne fidèle
Un jour lui donnera des enfants dignes d’elle.
— Reine, répond Eole, ordonnez, j’obéis :
A la table des dieux par vous je suis assis ;
Par vous j’ai la faveur du souverain du monde,
Et je commande en maître aux puissances de l’onde ».
Il dit : et, du revers de son sceptre divin,
Du mont frappe les flancs : ils s’ouvrent, et soudain
En tourbillons bruyants l’essaim fougueux s’élance,
Trouble l’air, sur les eaux fond avec violence ;
Le rapide Zéphire, et les fiers Aquilons,
Et les vents de l’Afrique, en naufrages féconds,
Tous bouleversent l’onde, et des mers turbulentes
Roulent les vastes flots sur leurs rives tremblantes.
On entend des nochers les tristes hurlements,
Et des câbles froissés les affreux sifflements ;
Sur la face des eaux s’étend la nuit profonde ;
Le jour fuit, l’éclair brille, et le tonnerre gronde ;
Et la terre et le ciel, et la foudre et les flots,
Tout présente la mort aux pâles matelots.
Enée, à cet aspect, frissonne d’épouvante.
Levant au ciel ses yeux et sa voix suppliante :
« Heureux, trois fois heureux, ô vous qui, sous nos tours
Aux yeux de vos parents terminâtes vos jours !