Page:Virgile L’Énéide Traduction de Jacques Delille - Tome 1.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mes amis, bannissons d’inutiles alarmes ;
Un jour ces souvenirs auront pour nous des charmes.
A travers les écueils, le courroux de la mer,
Nous cherchons les beaux lieux promis par Jupiter.
Là nous attend la paix ; là vos yeux, avec joie,
Verront se relever les murailles de Troie.
Vivez, conservez-vous pour les jours de bonheur.
  Il dit, et dans son sein renfermant sa douleur,
La gaîté sur le front, la tristesse dans l’âme,
D’un espoir qu’il n’a pas le héros les enflamme.
Mais la faim presse : alors leur diligente main
Dépouille avec ardeur leur sauvage butin,
Divise par le fer la proie encor vivante,
Enfonce un bois aigu dans la chair palpitante ;
D’autres sur des trépieds placent l’airain bouillant,
Que la flamme rapide embrase en pétillant :
Tout s’apprête ; et ces mets que le ciel leur envoie,
Et les flots d’un vin pur, font circuler la joie.
Le repas achevé, tous, par de longs discours,
De leurs amis perdus redemandent les jours ;
Leurs cœurs sont partagés par l’espoir et la crainte ;
Sont-ils vivants encor ? ou bien, sourds à leur plainte,
Sont-ils déjà couverts des ombres de la mort ?
Surtout le tendre Enée est touché de leur sort :
Au fidèle Gyas, au valeureux Cloanthe
Prodigue ses regrets et sa douleur touchante ;
Tantôt il s’attendrit sur le sort de Lycus,
Et surtout de ses pleurs honore Caïcus.
  Quand Jupiter, du haut de la voûte éthérée,
Contemplant et la terre et la mer azurée,
Et les peuples nombreux dans l’univers épars,
Sur la Lybie enfin arrête ses regards.
Son esprit des humains roulait la destinée,
Lorsque Vénus, sa fille, et la mère d’Enée,
Gémissante, et de pleurs inondant ses beaux yeux :
« Arbitre souverain des hommes et des cieux,
[…]