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Page:Virgile L’Énéide Traduction de Jacques Delille - Tome 3.djvu/57

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Marchons, dit la prêtresse, et quittons ces lieux sombres :
Ce n’est pas aux héros à combattre des ombres ».
  De là vers le Tartare un noir chemin conduit ;
Là l’Achéron bouillonne, et roulant à grand bruit,
Dans le Cocyte affreux vomit sa fange immonde.
L’effroyable Caron est nocher de cette onde.
D’un poil déjà blanchi mélangeant sa noirceur,
Sa barbe étale aux yeux son inculte épaisseur ;
Un nœud lie à son cou sa grossière parure.
Sa barque, qu’en roulant noircit la vague impure,
Va transportant les morts sur l’avare Achéron ;
Sans cesse il tend la voile ou plonge l’aviron.
Son air est rebutant, et de profondes rides
Ont creusé son vieux front de leurs sillons arides ;
Mais, à sa verte audace, à son œil plein de feu,
On reconnaît d’abord la vieillesse d’un dieu.
  D’innombrables essaims bordaient les rives sombres,
Des mères, des héros, aujourd’hui vaines ombres,
Les vierges que l’hymen attendait aux autels,
Des fils mis au bûcher sous les yeux paternels,
Plus pressés, plus nombreux que ces pâles feuillages
Sur qui l’hiver naissant prélude à ses ravages,