Page:Visan – Lettres à l’Élue, 1908.djvu/38

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ment une tranche de mie, pour accompagner chaque bouchée ; d’autres préparaient la besogne une fois pour toutes, au début du repas, et divisaient leur morceau sur la table en quantité de petits cubes blancs qu’ils entassaient auprès de leur verre et où la main piquait au fur et à mesure.

Nul ne remarquait ma présence. Je m’intéressais à d’étranges conversations, sans parvenir à en saisir ni le style, ni l’esprit. C’est égal, Mad, ces gens là étaient bien heureux ! Comme je les enviais avec fureur ! D’abord ils ne mangeaient jamais les mêmes viandes que la salle, et dans des vaisselles autrement jolies. Il y avait surtout une immense casserole rouge en terre de Marseille, remplie d’os coupés ras et de dragées grises nageant dans une sauce brune, et le tout fumant, fumant, qui m’intriguait fort. J’ai su depuis, grâce à un certain restaurant d’étudiants de la rue Monsieur le Prince, nommé Polydor, où Leconte de Lisle, Louis Ménard, Barrès, Bourget et des nihilistes russes avaient accoutumé