Aller au contenu

Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instincts, à peu près un genre de vie semblable, et pourtant le paysage ne nous frappe pas de même manière. Il se trouve que pour vous le réel c’est le monde visible, une chose ; pour moi, admettons, comme pour Platon, le réel est une idée. Cette idée d’ailleurs n’est nullement synonyme de fiction ou de chimère, mais le type de la réalité considérée en elle-même. Qu’en conclure, sinon que cette expression nature bien vue ne signifie rien autre que nature bien interprétée ?

Le monde en effet, en plus de sa réalité propre, est le produit de nos sens et aussi de notre intelligence. Chaque fois que nous communiquons avec lui nous l’interprétons deux fois. Or cette double interprétation varie d’après l’idée que chacun se fait de la vie et le monde change de nuance suivant la projection lumineuse de notre philosophie propre. Tous tant que nous sommes, poètes, mathématiciens, marchands de laines, nous portons sur la nature des jugements qui, sans qu’on s’en doute, demeurent en corrélation parfaite avec nos humeurs, notre état d’âme habituel, notre degré d’intelligence. Ces jugements sont autant de systèmes qui nous résument.

Pour l’objet qui nous occupe, il faut bien le redire et ne pas s’en lasser : à creuser profondément les problèmes d’esthétique on finit par heurter le roc fondamental d’où partent quantité de filons mystérieux par quoi notre être se relie aux choses.