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Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/76

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que dire d’un morceau : « le fond est bon, mais la forme mauvaise » équivaut à un non-sens. Le mot ne peut se concevoir l’esclave ou le substitut de l’idée. Il devient l’idée même incarnée, l’émotion palpable, le frère jumeau du moi. De même que la pensée s’accompagne toujours d’une sorte de langage intérieur[1], de même parler ou écrire crée spontanément des états d’âme et fait rougeoyer notre vie subconsciente. Au toucher miraculeux du mot, des existences latentes ressuscitent, enfouies dans le tombeau de notre être, et montent vers la lumière de l’esprit.

Or penser c’est, en définitive, sentir ou, si l’on préfère, comprendre avec toute son âme, car une pensée qu’aucun sentiment ne vivifie demeure dans la nuit éternelle et les limbes de l’être, sans emploi effectif. Avec des idées pures, vous ne soulèverez jamais le moindre grain de volonté, le plus petit sénevé d’énergie. N’allez pas croire que le saint, que

    épaules : Qu’importe ! Ils ne savent pas. Autant parler musique à des gens qui n’ont point d’oreilles. »

  1. « Max Müller cite une peuplade de l’Océanie qui exprime l’idée de penser par un mot signifiant littéralement parler dans son estomac. Ces sauvages sont dans le vrai, et il suffit de s’observer soi-même un instant pour reconnaître qu’il y a en nous une parole interne à peu près constante, laquelle donne lieu, du reste, à une excitation très sensible des organes vocaux, et provoquerait l’émission d’une parole susceptible d’être entendue si la volonté n’en arrêtait pas les effets. » Dunan, Essai de Philosophie générale, p. 167.