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LE GÉNÉRAL

Si je dis oui, vous me croirez, et si je dis non, vous croirez que je pense le contraire.

VICTOR

Quel salaud !

TOUS

Hein ! Quoi ?

VICTOR

Rien… rien… je me parle à moi-même. Je me dis que je suis un salaud. Comment ! on fête mes neuf ans ; tout le monde se réunit dans la joie de bénir un si joyeux événement ; et je fais pleurer ma mère. Je rends soucieux le meilleur des pères, j’empoisonne la vie de Mme Magneau, je provoque la folie de son malheureux mari, je bafoue l’Armée Française. Quant à la bonne, je lui prête je ne sais quelles complaisances. Jusqu’à Esther, la chère petite, que je mêle à cette affaire immonde. Ah, mais à la fin, qui suis-je ? Suis-je transfiguré ? Ne m’appellé-je plus Victor ? Suis-je condamné à mener l’existence honteuse du fils prodigue ? Enfin, dites-le-moi. Suis-je l’incarnation du vice et du remords ? Ah ! s’il en est ainsi, plutôt la mort que le déshonneur ! plutôt le sort tragique de l’enfant prodigue ! (Il se prend la tête dans les mains.) Oui, ouvrez toutes les portes ! laissez-moi partir, et tuez le veau gras pour mon vingt-cinquième anniversaire !

LE GÉNÉRAL

Ah, Charles, ceci est presque une confession. Si j’étais prêtre, je dirais cet enfant est possédé du diable.

CHARLES

Écoutez, général, je suis un bon républicain, et il a été toujours entendu que jamais la question religieuse ne se poserait entre nous. Mes ancêtres étaient conventionnels, mes aïeux ont fait le révolution de 48, et mon grand-père était communard. Moi, je suis radical, et j’espère que mon fils, qui n’a jamais été baptisé, et qui, je vous en fiche mon billet, ne fera pas sa première communion, ne sera jamais un calotin.