Page:Vivien - Du vert au violet, 1903.djvu/123

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— Le sage Ulysse a donné à ses compagnons le conseil de boucher leurs oreilles avec de la cire et de s’attacher aux mâts du vaisseau, ajouta Méniskos.

— Ulysse n’était qu’un lâche, cria la très jeune et très impétueuse lône. Et ses compagnons aussi n’étaient que des lâches. La prudence, c’est l’éternelle lâcheté. Oh ! préférer l’ennuyeuse Pénélope aux Sirènes ! — Moi, je donnerais le souffle de mes lèvres, les lignes, les ondulations et les couleurs que mes yeux avides contemplent avec tant d’angoisse, les harmonies qui me font si divinement souffrir, les parfums que j’aspire avec tant de fièvre, tout ce qui fait vivre de la vie brûlante et triste, pour entendre un instant le Chant des Sirènes… Et les baisers de mes compagnes, les baisers qui sont pareils aux harmonies, aux parfums, à la joie des couleurs, des lignes et des ondulations gracieuses, les baisers âcres comme le ciel et doux comme les roses, je les donnerais pour entendre un instant le Chant périlleux.

— En vérité, tes paroles ne sont point sages, dit avec calme le vieux Méniskos. Quoi ! tu donnerais les longues années d’une existence humaine pour l’éclair d’une joie !