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Page:Vladimir Soloviev - La Russie et l Eglise Universelle, Stock, 1922.djvu/64

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l’expérience sont sous nos yeux. L’idée de la chrétienté — cette unité très insuffisante mais cependant réelle qui embrassait toutes les nations européennes — a disparu ; la philosophie révolutionnaire a fait des efforts louables pour remplacer cette unité par celle du genre humain : on sait avec quel succès. Militarisme universel transformant des peuples entiers en armées ennemies et inspiré lui-même par une haine nationale telle que le moyen âge n’en a jamais connu ; antagonisme social profond et irréconciliable ; lutte des classes qui menace de mettre tout à feu et à sang ; abaissement progressif de la force morale, dans les individus, manifesté par le nombre toujours croissant des folies, des suicides et des crimes — voilà la somme des progrès que l’Europe sécularisée a faits depuis trois ou quatre siècles[1].

Les deux grandes expériences historiques, celle du moyen âge et celle des temps modernes, semblent prouver avec évidence que ni l’Église privée du ministère d’un pouvoir séculier distinct mais solidaire avec elle, ni l’État

  1. Je parle ici du résultat général ; quant aux progrès partiels, il y en a d’incontestables. Signalons seulement l’adoucissement des lois pénales, l’abolition de la torture. L’avantage est considérable, mais peut-on le croire définitif ? Si la guerre sociale éclatait un jour avec toute la furie d’une haine longtemps comprimée, on verrait des choses singulières. Des faits de mauvais augure, des actes mézenciens, ont déjà eu lieu entre Paris et Versailles en 1871.