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Page:Vogüé - Le Roman russe.djvu/307

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m’assurent avoir souffert du même malaise. Hoffmann, Edgar Poë, Baudelaire, tous les classiques du genre inquiétant que nous connaissons jusqu’ici ne sont que des mystificateurs en comparaison de Dostoïevsky ; on devine dans leurs fictions le jeu du littérateur ; dans Crime et châtiment, on sent que l’auteur est tout aussi terrifié que nous par le personnage qu’il a tiré de lui-même.

La donnée est très-simple. Un homme conçoit l’idée d’un crime ; il la mûrit, il la réalise, il se défend quelque temps contre les recherches de la justice, il est amené à se livrer lui-même, il expie. Pour une fois, l’artiste russe a observé la coutume d’Occident, l’unité d’action ; le drame, purement psychologique, est tout entier dans le combat entre l’homme et son idée. Les personnages et les faits accessoires n’ont de valeur que par leur influence dans les déterminations du criminel. La première partie, celle où l’on nous montre la naissance et la végétation de l’idée, est conduite avec une vérité et une sûreté d’analyse au-dessus de tout éloge. L’étudiant Raskolnikof, un nihiliste au vrai sens du mot, très-intelligent, sans principes, sans scrupules, accablé par la misère et la mélancolie, rêve d’un état plus heureux. Comme il revient d’engager un bijou chez une vieille usurière, cette pensée vague traverse son cerveau, sans qu’il y attache d’importance : « Un homme intelligent qui posséderait la fortune de cette femme arriverait à tout ; pour cela il suffirait de supprimer cette vieille, inutile et nuisible. »

Ce n’est encore là qu’une de ces larves d’idées qui ont passé une fois dans bien des imaginations, ne fût-ce que pendant les cauchemars de la fièvre et sous la forme si