Page:Vogüé - Le Roman russe.djvu/324

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solution des autorités légales, personnifiées dans le gouverneur Von Lembke ; il nous montre entre ces deux pôles la masse des faibles, attirée vers celui qui est fortement aimanté.

Oui, on ne saurait trop le redire, c’est le caractère de ces résolus qui agit sur le peuple russe, et non leurs idées ; et la vue perçante du philosophe porte ici plus loin que la Russie. Les hommes sont de moins en moins exigeants en fait d’idées, de plus en plus sceptiques en fait de programmes ; ceux qui croient à la vertu absolue des doctrines sont chaque jour plus rares ; ce qui les séduit, c’est le caractère, même s’il applique son énergie au mal, parce qu’il promet un guide et garantit la fermeté du commandement, le premier besoin d’une association humaine. L’homme est le serf né de toute volonté forte qui passe devant lui.

Avec la publication des Possédés et le retour de Dostoïevsky en Russie commence la dernière période de sa vie, de 1871 à 1881. Elle fut un peu moins sombre et difficile que les précédentes. Il s’était remarié à une personne intelligente et courageuse, qui l’aida à sortir de ses embarras matériels. Sa popularité grandissait, le succès de ses livres lui permettait de se libérer. Repris par le démon du journalisme, il collabora d’abord à une feuille de Pétersbourg et finit par se donner un organe bien à lui, qu’il rédigeait tout seul, le Carnet d’un écrivain. Cette publication mensuelle paraissait… quelquefois. Elle n’avait rien de commun avec ce que nous appelons un journal ou une revue. S’il y avait eu à Delphes un moniteur chargé d’enregistrer les oracles intermittents de la Pythie, c’eût été quelque chose de