Page:Vogüé - Le Roman russe.djvu/345

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n’est que l’histoire d’une pensée travaillant sans relâche sur elle-même : nous la voyons naître, définir sa nature et confesser ses premières angoisses, dans l’autobiographie à peine déguisée que l’écrivain a intitulée : Enfance, adolescence, jeunesse ; nous en suivons l’évolution dans ses deux grands romans, Guerre et paix, Anna Karénine ; elle aboutit enfin, comme on pouvait le prévoir, aux écrits théologiques et moraux qui absorbent depuis quelques années toute l’activité intellectuelle du romancier.

Si je ne me trompe, la première composition de l’écrivain, alors officier au Caucase, dut être la nouvelle ou plutôt le fragment de roman publié plus tard sous ce titre : les Cosaques. C’est la moins systématique de ses œuvres ; c’est peut-être celle qui trahit le mieux l’originalité précoce de son esprit, le don de voir et de peindre la seule vérité. Les Cosaques marquent une date littéraire : la rupture définitive de la poétique russe avec le byronisme et le romantisme, au cœur même de la citadelle où s’étaient retranchées depuis trente ans ces puissances. L’obsession de Byron sur les romantiques était si forte, que leurs yeux prévenus voyaient l’Orient, où ils vivaient, à travers la fantaisie du poëte. Nous avons vu débuter au Caucase Pouchkine, Griboïédof, Lermontof ; mais dans le Prisonnier du Caucase comme dans le Démon, la leçon apprise transfigure les paysages et les hommes, les sauvages Lesghiennes sont de touchantes héroïnes, sœurs d’Haidée et de la fiancée d’Abydos.

Sollicité comme tant d’autres vers la montagne d’aimant, Tolstoï, — c’est-à-dire Olénine, le héros des Cosaques (je crois bien que c’est tout un), — part de