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Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/50

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LETTRES

d’un autre costé, vous avez regagné en mon estime la mesme place que l’on vous a ostée en mon affection, et qu’au mesme temps que j’ay commencé à vous aimer moins, j’ay esté contraint de vous honorer davantage. Je n’ay rien veu de vous, depuis vostre départ, qui ne m’ait semblé au dessus de ce que vous avez jamais fait, et par ces derniers ouvrages vous avez gagné l’honneur d’avoir surmonté celuy qui a passé tous les autres. Cependant je trouve estrange qu’avec tant de raison que vous avez d’estre content, vous ne le puissiez estre, et que, tous les grands hommes estant satisfaits de vous, il n’y ait que vous seul qui ne le soyez pas. Aujourd’huy toute la France vous escoute ; il n’y a plus personne qui sçache lire à qui vous soyez indiffèrent. Tous ceux qui sont jaloux de l’honneur de ce royaume ne s’informent pas plus de ce que fait M. le mareschal de Crequy que de ce que vous faites ; et nous avons plus de deux généraux d’armée qui ne font pas tant de bruit avec trente mille hommes que vous en faites dans vostre solitude. Ne vous estonnez donc point qu’avecque tant de gloire vous ayez beaucoup d’envie, et souffrez doucement que ces mesmes juges devant qui Scipion a esté criminel, et qui ont condamné Aristide et Socrate, ne vous donnent pas tout d’une voix ce que vous méritez. C’est de tout temps que le peuple a cette coustume de haïr en autruy les mesmes qualitez qu’il y admire. Tout ce qui est hors de sa règle l’offense, et il souffriroit plus volontiers un vice commun qu’une vertu extraordi-