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CHAPITRE XI.

l’on naquit serf ou tyran, meuble ou propriétaire.

Et les oppresseurs étant moins nombreux que les opprimés, il fallut, pour soutenir ce faux équilibre, perfectionner la science de l’oppression. L’art de gouverner ne fut plus que celui d’assujettir au plus petit nombre le plus grand. Pour obtenir une obéissance si contraire à l’instinct, il fallut établir des peines plus sévères ; et la cruauté des lois rendit les mœurs atroces. Et la distinction des personnes établissant dans l’État deux codes, deux justices, deux droits ; le peuple, placé entre le penchant de son cœur et le serment de sa bouche, eut deux consciences contradictoires, et les idées du juste et de l’injuste n’eurent plus de base dans son entendement.

Sous un tel régime, les peuples tombèrent dans le désespoir et l’accablement. Et les accidents de la nature s’étant joints aux maux qui les assaillaient, éperdus de tant de calamités, ils en reportèrent les causes à des puissances supérieures et cachées ; et parce qu’ils avaient des tyrans sur la terre, ils en supposèrent dans les cieux ; et la superstition aggrava les malheurs des nations.

Et il naquit des doctrines funestes, des systèmes de religion atrabilaires et misanthropiques, qui peignirent les dieux méchants et envieux comme les despotes. Et pour les apaiser, l’homme leur offrit le sacrifice de toutes ses jouissances : il s’environna de privations, et renversa les lois