est arrivé depuis le baiser innocent que vous me donnâtes, et les coups de pied que vous reçûtes.
Candide lui obéit avec un profond respect ; et quoiqu’il fût interdit, quoique sa voix fût faible et tremblante, quoique l’échine lui fît encore un peu mal, il lui raconta de la manière la plus naïve tout ce qu’il avait éprouvé depuis le moment de leur séparation. Cunégonde levait les yeux au ciel : elle donna des larmes à la mort du bon anabaptiste et de Pangloss ; après quoi elle parla en ces termes à Candide, qui ne perdait pas une parole, et qui la dévorait des yeux.
Histoire de Cunégonde.
J’étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au
ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château de
Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et
coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six
pieds, voyant qu’à ce spectacle j’avais perdu connaissance, se
mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je
criai, je me débattis, je mordis, j’égratignai, je voulais
arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce
qui arrivait dans le château de mon père était une chose d’usage :
le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont
je porte encore la marque. Hélas ! j’espère bien la voir, dit le
naïf Candide.