Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/317

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on dit, de cette vie à l’autre ; on lui refusa, ce que ces gens-ci appellent les honneurs de la sépulture, c’est-à-dire de pourrir avec tous les gueux du quartier dans un vilain cimetière ; elle fut enterrée toute seule de sa bande au coin de la rue de Bourgogne ; ce qui dut lui faire une peine extrême, car elle pensait très noblement. Cela est bien impoli, dit Candide. Que voulez-vous ? dit Martin ; ces gens-ci sont ainsi faits. Imaginez toutes les contradictions, toutes les incompatibilités possibles, vous les verrez dans le gouvernement, dans les tribunaux, dans les églises, dans les spectacles de cette drôle de nation. Est-il vrai qu’on rit toujours à Paris ? dit Candide. Oui, dit l’abbé, mais c’est en enrageant ; car on s’y plaint de tout avec de grands éclats de rire ; même[1] on y fait en riant les actions les plus détestables.

Quel est, dit Candide, ce gros cochon qui me disait tant de mal de la pièce où j’ai tant pleuré, et des acteurs qui m’ont fait tant de plaisir ? C’est un mal-vivant, répondit l’abbé, qui gagne sa vie à dire du mal de toutes les pièces et de tous les livres ; il hait quiconque réussit, comme les eunuques haïssent les jouissants ; c’est un de ces serpents de la littérature qui se nourrissent de fange et de venin ; c’est un folliculaire. Qu’appelez-vous folliculaire ? dit Candide. C’est, dit l’abbé, un feseur de feuilles, un Fréron.

C’est ainsi que Candide, Martin, et le Périgourdin, raisonnaient sur l’escalier, en voyant défiler le monde au sortir de la pièce. Quoique je sois très empressé

  1. Feu Decroix proposait, au lieu de même, de mettre ici comme. Je n’ai trouvé cette version dans aucune édition. B.