Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/337

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On se mit à table ; et, après un excellent dîner, on entra dans la bibliothèque. Candide, en voyant un Homère magnifiquement relié, loua l’illustrissime sur son bon goût. Voilà, dit-il, un livre qui fesait les délices du grand Pangloss, le meilleur philosophe de l’Allemagne. Il ne fait pas les miennes, dit froidement Pococurante : on me fit accroire autrefois que j’avais du plaisir en le lisant ; mais cette répétition continuelle de combats qui se ressemblent tous, ces dieux qui agissent toujours pour ne rien faire de décisif, cette Hélène qui est le sujet de la guerre, et qui à peine est une actrice de la pièce ; cette Troie qu’on assiège et qu’on ne prend point ; tout cela me causait le plus mortel ennui. J’ai demandé quelquefois à des savants s’ils s’ennuyaient autant que moi à cette lecture : tous les gens sincères m’ont avoué que le livre leur tombait des mains, mais qu’il fallait toujours l’avoir dans sa bibliothèque, comme un monument de l’antiquité, et comme ces médailles rouillées qui ne peuvent être de commerce.

Votre excellence ne pense pas ainsi de Virgile ? dit Candide. Je conviens, dit Pococurante, que le second, le quatrième, et le sixième livre de son Énéide, sont excellents ; mais pour son pieux Énée, et le fort Cloanthe, et l’ami Achates, et le petit Ascanius, et l’imbécile roi Latinus, et la bourgeoise Amata, et l’insipide Lavinia, je ne crois pas qu’il y ait rien de si froid et de plus désagréable. J’aime mieux le Tasse et les contes à dormir debout de l’Arioste.

Oserais-je vous demander, monsieur, dit Candide, si vous n’avez pas un grand plaisir à lire Horace ? Il