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AVERTISSEMENT.

Camille semblait même assez de cet avis ;
Elle aurait mieux goûté des discours moins suivis…
Dis-moi donc, lorsqu’Othon s’est offert à Camille,
A-t-il paru contraint ? a-t-elle été facile ?


C’est que, dans Pompée (II, I), l’inutile Cléopâtre dit que César


Lui trace des soupirs, et, d’un style plaintif,
Dans son champ de victoire il se dit son captif.


C’est que César demande à Antoine (III, m)


S’il a vu cette reine adorable ?


et qu’Antoine répond,


Oui, seigneur, je l’ai vue ; elle est incomparable.


C’est que, dans Sertorius, le vieux Sertorius même est amoureux à la fois par politique et par goût, et dit :


 J’aime ailleurs : à mon âge il sied si mal d’aimer,
Que je le cache même à qui m’a su charmer… (I, ii)

Et que d’un front ridé les replis jaunissants
Ne sont pas un grand charme à captiver les sens. (II, i.)


C’est que, dans Œdipe (I, i), Thésée débute par dire à Dircé :


Quelque ravage affreux qu’étale ici la peste.
L’absence aux vrais amants est encor plus funeste.


Enfin, c’est que jamais un tel amour ne fait verser de larmes ; et quand l’amour n’émeut pas, il refroidit.

Je ne vous dis ici, monsieur, que ce que tous les connaisseurs, les véritables gens de goût, se disent tous les jours en conversation ; ce que vous avez entendu plusieurs fois chez moi ; enfin ce qu’on pense, et ce que personne n’ose encore imprimer. Car vous savez comment les hommes sont faits ; ils écrivent presque tous contre leur propre sentiment, de peur de choquer le préjugé reçu. Pour moi, qui n’ai jamais mis dans la littérature aucune politique, je vous dis hardiment la vérité, et j’ajoute que je respecte plus Corneille, et que je connais mieux le grand mérite de ce père du théâtre que ceux qui le louent au hasard de ses défauts.