Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/211

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Jadis dans son berceau je voulus l'étouffer. 
De Narbas à mes yeux l'adroite diligence
Aux mains qui me servaient arracha son enfance :
Narbas, depuis ce temps, errant loin de ces bords,
A bravé ma recherche, a trompé mes efforts.
J'arrêtai ses courriers ; ma juste prévoyance 
De Mérope et de lui rompit l'intelligence.
Mais je connais le sort ; il peut se démentir ;
De la nuit du silence un secret peut sortir ;
Et des dieux quelquefois la longue patience
Fait sur nous à pas lents descendre la vengeance[1].

Érox 

Ah ! Livrez-vous sans crainte à vos heureux destins.
La prudence est le dieu qui veille à vos desseins.
Vos ordres sont suivis : déjà vos satellites
D'Élide et de Messène occupent les limites.
Si Narbas reparaît, si jamais à leurs yeux  
Narbas ramène Égisthe, ils périssent tous deux.

POLYPHONTE

Mais me réponds-tu bien de leur aveugle zèle ?

Érox

Vous les avez guidés par une main fidèle :
Aucun d'eux ne connaît ce sang qui doit couler,
Ni le nom de ce roi qu'ils doivent immoler.
Narbas leur est dépeint comme un traître, un transfuge,
Un criminel errant, qui demande un refuge ;
L'autre, comme un esclave, et comme un meurtrier
Qu'à la rigueur des lois il faut sacrifier.

POLYPHONTE

Eh bien ! Encor ce crime ! Il m'est trop nécessaire.
Mais en perdant le fils, j'ai besoin de la mère ;
J'ai besoin d'un hymen utile à ma grandeur,
Qui détourne de moi le nom d'usurpateur,
Qui fixe enfin les voeux de ce peuple infidèle ;
Qui m'apporte pour dot l'amour qu'on a pour elle.

  1. Imitation ennoblie d’Horace :
    Raro antecedentem scelestum
    Deseruit pedo pœna claudio

    on en retrouve une autre dans Oreste, acte Ier, scène II :
    La peine suit le crime, alle arrive à pas lents.