Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
MÉMOIRES.

vous à nos frères : ne manquez pas de nous venir parler. » Le prêtre alla dans Berlin chercher les trois ministres : on se moqua de lui ; et le roi, qui était plus plaisant que libéral, ne se soucia pas de payer son voyage.

Frédéric gouvernait l’Église aussi despotiquement que l’État. C’était lui qui prononçait les divorces quand un mari et une femme voulaient se marier ailleurs. Un ministre lui cita un jour l’Ancien Testament, au sujet d’un de ces divorces : « Moïse, lui dit-il, menait ses Juifs comme il voulait, et moi je gouverne mes Prussiens comme je l’entends. »

Ce gouvernement singulier, ces mœurs encore plus étranges, ce contraste de stoïcisme et d’épicuréisme, de sévérité dans la discipline militaire, et de mollesse dans l’intérieur du palais, des pages avec lesquels on s’amusait dans son cabinet, et des soldats qu’on faisait passer trente-six fois par les baguettes sous les fenêtres du monarque qui les regardait, des discours de morale, et une licence effrénée, tout cela composait un tableau bizarre que peu de personnes connaissaient alors, et qui depuis a percé dans l’Europe.

La plus grande économie présidait dans Potsdam à tous ses goûts. Sa table et celle de ses officiers et de ses domestiques étaient réglées à trente-trois écus par jour, indépendamment du vin. Et au lieu que chez les autres rois ce sont des officiers de la couronne qui se mêlent de cette dépense, c’était son valet de chambre Frédersdorff qui était à la fois son grand maître d’hôtel, son grand échanson, et son grand panetier.

Soit économie, soit politique, il n’accordait pas la moindre grâce à ses anciens favoris, et surtout à ceux qui avaient risqué leur vie pour lui quand il était prince royal. Il ne payait pas même l’argent qu’il avait emprunté alors, et comme Louis XII ne vengeait pas les injures du duc d’Orléans, le roi de Prusse oubliait les dettes du prince royal.

Cette pauvre maîtresse, qui avait été fouettée pour lui par la main du bourreau était alors mariée, à Berlin, au commis du bureau des fiacres : car il y avait dix-huit fiacres dans Berlin, et son amant lui faisait une pension de soixante et dix écus qui lui a toujours été très-bien payée. Elle s’appelait Mme Shommers, grande femme, maigre, qui ressemblait à une sibylle, et n’avait nullement l’air d’avoir mérité d’être fouettée pour un prince.

Cependant, quand il allait à Berlin, il y étalait une grande magnificence dans les jours d’appareil. C’était un très-beau spectacle pour les hommes vains, c’est-à-dire pour presque tout le