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MÉMOIRES.

triche ne vous redemande la Silésie à la première occasion ? » Voici sa réponse en marge :

Ils seront reçus, biribi,
À la façon de barbari,
Mon ami.[1]

Cette négociation d’une espèce nouvelle finit par un discours qu’il me tint dans un de ses mouvements de vivacité contre le roi d’Angleterre, son cher oncle. Ces deux rois ne s’aimaient pas. Celui de Prusse disait : « George est l’oncle de Frédéric, mais George ne l’est pas du roi de Prusse. » Enfin il me dit : « Que la France déclare la guerre à l’Angleterre, et je marche. »

Je n’en voulais pas davantage. Je retournai vite à la cour de France : je rendis compte de mon voyage. Je lui donnai l’espérance qu’on m’avait donnée à Berlin. Elle ne fut point trompeuse, et le printemps suivant le roi de Prusse fit en effet un nouveau traité avec le roi de France. Il s’avança en Bohême avec cent mille hommes, tandis que les Autrichiens étaient en Alsace.

Si j’avais conté à quelque bon Parisien mon aventure, et le service que j’avais rendu, il n’eût pas douté que je fusse promu à quelque beau poste. Voici quelle fut ma récompense.

La duchesse de Châteauroux fut fâchée que la négociation n’eût pas passé immédiatement par elle ; il lui avait pris envie de chasser M. Amelot, parce qu’il était bègue, et que ce petit défaut lui déplaisait : elle haïssait de plus cet Amelot, parce qu’il était gouverné par M. de Maurepas ; il fut renvoyé au bout de huit jours, et je fus enveloppé dans sa disgrâce.

[2] Il arriva, quelque temps après, que Louis XV fut malade à l’extrémité dans la ville de Metz : M. de Maurepas et sa cabale prirent ce temps pour perdre Mme  de Châteauroux. L’évêque de Soissons, Fitz-James[3], fils du bâtard de Jacques II, regardé comme un saint, voulut, en qualité de premier aumônier, convertir le roi, et lui déclara qu’il ne lui donnerait ni absolution ni communion s’il ne chassait sa maîtresse et sa sœur la duchesse de Lauraguais, et leurs amis. Les deux sœurs partirent chargées

  1. Voyez cette pièce, dans la Correspondance, octobre 1743.
  2. Cet alinéa et les trois qui le suivent avaient été mis dans le Commentaire historique, par les éditeurs de Kehl.
  3. C’est le même Fitz-James dont ailleurs Voltaire fait l’éloge pour un mandement ; voyez tome XIV, page 165 ; tome XX, page 524 ; et la lettre à d’Alembert, du mois d’avril 1757.