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COMMENTAIRE

génie auquel on l’attribue, ne fût-ce que pour le chapitre où l’on canonise la vénalité des charges. Misérable invention qui a produit tout le mal qui est à redresser aujourd’hui, et par où les moyens en sont devenus si pénibles : car il faudrait les revenus de l’État pour rembourser seulement les principaux officiers qui nuisent le plus. »

Ce passage important semble avoir annoncé de loin l’abolition[1] de cette honteuse vénalité, opérée en 1771, à l’étonnement de toute la France, qui croyait cette réforme impossible. J’y découvre aussi une uniformité de pensée avec M. de Voltaire, qui a démontré les erreurs absurdes dont fourmille le libelle si ridiculement attribué au cardinal de Richelieu, et qui a lavé la mémoire de cet habile et redoutable ministre de la souillure dont on couvrait son nom en lui imputant cet impertinent ouvrage.

Transcrivons encore un partie du tableau que le marquis d’Argenson fait des malheurs des agriculteurs :

« À commencer par le roi, plus on est grand à la cour, moins on se persuade aujourd’hui la misère de la campagne : les seigneurs des grandes terres en entendent bien parler quelquefois ; mais leurs cœurs endurcis n’envisagent dans ce malheur que la diminution de leurs revenus. Ceux qui arrivent des provinces, touchés de ce qu’ils ont vu, l’oublient bientôt par l’abondance des délices de la capitale. Il nous faut des âmes fermes et des cœurs tendres pour persévérer dans une pitié dont l’objet est absent. »

Ce ministre citoyen avait toujours eu dès son enfance une tendre amitié pour M. de Voltaire. J’ai vu une très-grande quantité de lettres de l’un et de l’autre ; il en résulte que le secrétaire d’État employa l’homme de lettres dans plusieurs affaires considérables, pendant les années 1745, 1746 et 1747. C’est probablement la raison pour laquelle nous n’avons aucune pièce de théâtre de notre auteur pendant le cours de ces années.

Nous voyons, par ses papiers, que l’entreprise d’une descente en Angleterre, en 1746, lui fut confiée[2]. Le duc de Richelieu devait commander l’armée. Le prétendant avait déjà gagné deux batailles, et on attendait une révolution. M. de Voltaire fut chargé de faire le manifeste. Le voici tel que nous l’avons trouvé minuté de sa main[3].

On voit, par les expressions de cette pièce, quelle fut, dans

  1. Cette abolition, en 1771, n’a été que passagère. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez Précis du Siècle de Louis XV, tome XV, page 293.
  3. Voyez ce Manifeste, tome XXIII, page 203.