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HISTORIQUE.


Le roi de Prusse fit plus. Il fit exécuter une statue de son ancien serviteur dans sa belle manufacture de porcelaine, et la lui

    aime tant les ouvrages, une marque éclatante d’estime dont il serait infiniment touché, et qui lui rendrait cher ce qui lui reste de jours à vivre. Elle ajouterait beaucoup et à la gloire de cet illustre écrivain, et à celle de la littérature française, qui en conserverait une reconnaissance éternelle. Permettez-moi, sire, d’ajouter que dans l’état de faiblesse et de maladie où m’a réduit en ce moment l’excès du travail, et qui ne me permet que des vœux pour les lettres, la nouvelle marque de distinction que j’ose vous demander en leur faveur serait pour moi la plus douce consolation. Elle augmenterait encore, s’il est possible, l’admiration dont je suis pénétré pour votre personne, le sentiment profond que je conserverai toute ma vie de vos bienfaits, et la tendre vénération avec laquelle je serai jusqu’à mon dernier soupir, sire, de Votre Majesté le très-humble et très-obéissant serviteur.

    « d’Alembert.

    « À Paris, le 15 juillet 1770. »

    Réponse de M. d’Alembert à la lettre du roi de Prusse.

    « Sire, je n’ai pas perdu un moment pour apprendre à M. de Voltaire l’honneur signalé que Votre Majesté veut bien lui faire, et celui qu’elle fait en sa personne à la littérature et à la nation française. Je ne doute point qu’il ne témoigne à Votre Majesté sa vive et éternelle reconnaissance. Mais comment, sire, pourrais-je vous exprimer toute la mienne ? Comment pourrais-je vous dire à quel point je suis touché et pénétré de l’éloge si grand et si noble que Votre Majesté fait de la philosophie et de ceux qui la cultivent ? Je prends la liberté, sire, et j’ose espérer que Votre Majesté ne m’en désavouera pas, de faire part de sa lettre à tous ceux qui sont dignes de l’entendre ; et je ne puis assez dire à Votre Majesté avec quelle admiration, et, j’ose le dire, avec quelle tendresse respectueuse, ils voient tant de justice et de bonté unies à tant de gloire. Vous étiez, sire, le chef et le modèle de tous ceux qui écrivent et qui pensent ; vous êtes à présent pour eux (je rends à Votre Majesté leurs propres expressions) l’être rémunérateur et vengeur : car les récompenses accordées au génie sont le supplice de ceux qui le persécutent. Je voudrais que la lettre de Votre Majesté pût être gravée au bas de la statue : elle serait bien plus flatteuse que la statue même pour M. de Voltaire et pour les lettres. Quant à moi, sire, à qui Votre Majesté a la bonté de parler aussi de statue, je n’ai pas l’impertinente vanité de croire mériter jamais un pareil monument : je ne demande qu’une pierre sur ma tombe, avec ces mots : Le grand Frédéric l’honora de ses bienfaits et de ses bontés.

    « Votre Majesté demande ce que nous désirons d’elle pour ce monument ? Un écu, sire, et votre nom, qu’elle nous accorde d’une manière si digne et si généreuse. Les souscriptions ne nous manquent pas ; mais elles ne seraient rien sans la vôtre, et nous recevrons avec reconnaissance ce qu’il plaira à Votre Majesté de donner.

    « L’Académie française, sire, vient d’arrêter d’une voix unanime que la lettre de Votre Majesté serait insérée dans ses registres, comme un monument également honorable pour un de ses plus illustres membres et pour la littérature française. Elle me charge de mettre aux pieds de Votre Majesté son profond respect et sa très-humble reconnaissance.

    « C’est avec les mêmes sentiments, et avec la plus vive admiration, que je serai toute ma vie, sire, etc.

    « À Paris, le 13 août 1770. » (K.)