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HISTORIQUE.


hauts cris. Celui qui le persécutait avec le plus de cruauté et d’absurdité était un montagnard étranger[1], plus propre à ramoner des cheminées qu’à diriger des consciences. Cet homme, qui était très-familier, écrivit cordialement au roi de France, de couronne à couronne : il le pria de lui faire le plaisir de chasser un vieillard de soixante et quinze ans, et très-malade, de la propre maison qu’il avait fait bâtir, des champs qu’il avait fait défricher, et de l’arracher à cent familles qui ne subsistaient que par lui. Le roi trouva la proposition très-malhonnête et peu chrétienne, et le fit dire au capelan.

Le solitaire de Ferney étant malade, et n’ayant rien à faire, ne voulut se venger de cette petite manœuvre que par le plaisir de se faire donner l’extrême-onction par exploit, selon l’usage qui se pratiquait alors. Il se comporta comme ceux qu’on appelait jansénistes à Paris : il fit signifier par un huissier à son curé, nommé Gros (bon ivrogne qui s’est tué depuis à force de boire), que ledit curé eût à le venir oindre dans sa chambre au premier avril sans faute. Le curé vint, et lui remontra qu’il fallait d’abord commencer par la communion, et qu’ensuite il lui donnerait tant de saintes huiles qu’il voudrait. Le malade accepta la proposition ; il se fit apporter la communion dans sa chambre le premier avril ; et là, en présence de témoins, il déclara par devant notaire qu’il pardonnait à son calomniateur, qui avait tenté de le perdre, et qui n’avait pu y réussir. Le procès-verbal en fut dressé.

Il dit après cette cérémonie : « J’ai eu la satisfaction de mourir comme Guzman dans Alzire, et je m’en porte mieux. Les plaisants de Paris croiront que c’est un poisson d’avril. »

L’ennemi, un peu étonné de cette aventure, ne se piqua pas de l’imiter : il ne pardonna point, et n’y sut autre chose que faire supposer une déclaration du malade toute différente de celle qui était authentique[2], faite par-devant notaire, signée du testateur et des témoins, dûment légalisée et contrôlée. Deux faussaires rédigèrent donc, quinze jours après, une contre-profession de foi en patois savoyard ; mais on n’osa pas supposer le seing de celui auquel on avait eu la bêtise de l’attribuer. Voici la lettre que M. de Voltaire écrivit sur ce sujet :

  1. Biort, évêque d’Annecy. (K.)
  2. Wagnière, dans ses Additions au Commentaire historique, a transcrit, page 75, la Déclaration authentique, et, page 83, la Profession de foi supposée. Wagnière donne à cette occasion quelques détails piquants. (B.)