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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/191

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HISTORIQUE.


tentions. Mais il se déclara hautement pour l’abolissement de la vénalité, contre laquelle nous avons déjà cité[1] les paroles énergiques du marquis d’Argenson. Le projet de rendre la justice gratuitement, comme saint Louis, lui paraissait admirable. Il écrivit surtout en faveur des malheureux plaideurs qui étaient depuis quatre siècles obligés de courir à cent cinquante lieues de leurs chaumières pour achever de se ruiner dans la capitale, soit en perdant leur procès, soit même en le gagnant. Il avait toujours manifesté ces sentiments dans plusieurs de ses écrits : il fut fidèle à ses principes sans faire sa cour à personne.

Il avait alors soixante et dix-huit ans ; et cependant en une année il refit la Sophonisbe[2] de Mairet tout entière, et composa la tragédie des Lois de Minos[3]. Il ne regardait pas ces ouvrages, faits à la hâte pour le théâtre de son château, comme de bonnes pièces. Les connaisseurs ne dirent pas beaucoup de mal des Lois de Minos. Mais il faut avouer que les ouvrages dramatiques qui n’ont pas paru sur la scène, et ceux qui n’en sont pas restés longtemps en possession, ne servent qu’à grossir inutilement la foule des brochures dont l’Europe est surchargée, de même que les tableaux et les estampes qui n’entrent point dans les cabinets des amateurs restent comme s’ils n’étaient pas.

L’an 1774, il eut une occasion singulière[4] d’employer le même empressement qu’il avait eu le bonheur de signaler dans les funestes aventures des Calas et des Sirven.

Il apprit qu’il y avait à Vesel, dans les troupes du roi de Prusse, un jeune gentilhomme français d’un mérite modeste et d’une sagesse rare. Ce jeune homme n’était que simple volontaire. C’était le même qui avait été condamné dans Abbeville au supplice des parricides avec le chevalier de La Barre, pour ne s’être pas mis à genoux, pendant la pluie, devant une procession de capucins, laquelle avait passé à cinquante ou soixante pas d’eux.

On avait ajouté à cette charge celle d’avoir chanté une chanson grivoise de corps de garde, faite depuis environ cent ans, et d’avoir récité l’Ode à Priape de Piron. Cette ode de Piron était une débauche d’esprit et de jeunesse, dont l’emportement fut

  1. Page 89.
  2. Voyez tome VII, page 29.
  3. Voyez tome VII, page 163.
  4. Voyez, tome XXIX, page 375, le Cri du sang innocent.