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HISTORIQUE.


les temps du plus grand luxe, sous l’empire de la mollesse et de la dissolution la plus effrénée, que ces horreurs ont été commises par piété.

M. de Voltaire ayant donc su qu’un de ces jeunes gens, victime du plus détestable fanatisme qui ait jamais souillé la terre, était dans un régiment du roi de Prusse, en donna avis à ce monarque, qui sur-le-champ eut la générosité de le faire officier. Le roi de Prusse s’informa plus particulièrement de la conduite du jeune gentilhomme : il sut qu’il avait appris sans maître l’art du génie et du dessin ; il sut combien il était sage, réservé, vertueux ; combien sa conduite condamnait ses prétendus juges d’Abbeville. Il daigna l’appeler auprès de sa personne, lui donna une compagnie, le créa son ingénieur, l’honora d’une pension, et répara ainsi, par la bienfaisance, le crime de la barbarie et de la sottise. Il écrivit à M. de Voltaire, dans les termes les plus touchants, tout ce qu’il daignait faire pour ce militaire aussi estimable qu’infortuné. Nous avons été tous témoins de cette aventure si horriblement déshonorante pour la France, et si glorieuse pour un roi philosophe. Ce grand exemple instruira les hommes, mais les corrigera-t-il ?

Immédiatement après, notre vieillard réchauffa les glaces de son âge pour profiter des vues patriotiques d’un nouveau ministre[1] qui, le premier en France, débuta par être le père du peuple. La patrie que M. de Voltaire s’était choisie dans le pays de Gex est une langue de terre de cinq à six lieues sur deux, entre le mont Jura, le lac de Genève, les Alpes, et la Suisse. Ce pays était infesté par environ quatre-vingts sbires des aides et gabelles, qui abusaient de la dignité de leur bandoulière pour vexer horriblement le peuple à l’insu de leurs maîtres. Le pays était dans la plus effroyable misère. Il fut assez heureux pour obtenir du bienfaisant ministre un traité par lequel cette solitude (je n’ose pas dire province) fut délivrée de toute vexation : elle devint libre et heureuse. « Je devrais mourir après cela, dit-il, car je ne puis monter plus haut. »

Il ne mourut pourtant pas cette fois-là ; mais son noble émule, son illustre adversaire, Catherin Fréron, mourut[2]. Une chose assez plaisante à mon gré, c’est que M. de Voltaire reçut de Paris une invitation de se trouver à l’enterrement de ce pauvre diable. Une femme, qui était apparemment de la famille, lui

  1. Turgot.
  2. 10 mars 1776.