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COMMENTAIRE


de ces deux volumes. Son livre se vendit, parce qu’il attaquait un homme connu.

Le fanatisme de ce Nonotte était si parfait que, dans je ne sais quel dictionnaire philosophique religieux[1] ou antiphilosophique, il assure, à l’article Miracle, qu’une hostie, percée à coups de canif dans la ville de Dijon, répandit vingt palettes de sang ; et qu’une autre hostie, ayant été jetée au feu dans Dole, s’en alla voltigeant sur l’autel. Frère Nonotte, pour démontrer la vérité de ces deux faits, cite deux vers latins d’un président Boisvin, Franc-Comtois :

Impie, quid dubitas hominemque Deumque fateri ?
      Se probat esse hominem sanguine, et igne Deum.

Ce qui signifie, en réduisant ces deux vers impertinents à un sens clair : « Impie, pourquoi hésites-tu à confesser un homme Dieu ? Il prouve qu’il est homme par le sang, et Dieu par les flammes. »

On ne peut mieux prouver : et c’est sur cette preuve que Nonotte s’extasie, en disant : « Telle est la manière dont on doit procéder pour régler sa créance sur les miracles. »

Mais ce bon Nonotte, en réglant sa créance sur des injures de théologien et sur des raisonnements de petites-maisons, ne savait pas qu’il y a plus de soixante villes en Europe où le peuple prétend qu’autrefois les juifs donnèrent des coups de couteau à des hosties qui répandirent du sang : il ne sait pas qu’on fait encore aujourd’hui commémoration à Bruxelles d’une pareille aventure ; et j’y ai entendu, il y a quarante ans, cette belle chanson :

Gaudissons-nous, bons chrétiens, au supplice
Du vilain juif appelé Jonathan,
Qui sur l’autel a, par grande malice,
Assassiné le très-saint sacrement.

Il ne connaît pas le miracle de la rue aux Ours à Paris, où le peuple brûle tous les ans la figure d’un Suisse ou d’un Franc-Comtois qui assassina la sainte Vierge et l’enfant Jésus au bout de la rue ; et le miracle des Carmes nommés Billettes[2], et cent

  1. Dictionnaire philosophique de la religion, 1772, quatre volumes in-12. L’abbé Chaudon est le principal auteur du Dictionnaire antiphilosophique, 1767, in-8°.
  2. Ce miracle est de 1290, sous Philippe IV ou le Bel ; voyez l’Histoire de Paris, par J.-A. Dulaure, seconde édition, tome III, page 64.