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PAR LE ROI DE PRUSSE.


réputation bien méritée, il fallait l’acquérir en vainquant les plus grands obstacles.

Après vous avoir fait un précis des talents du poëte, passons à ceux de l’historien. L’Histoire de Charles XII fut la première qu’il composa ; il devint le Quinte-Curce de cet Alexandre. Les fleurs qu’il répand sur sa matière n’altèrent point le fond de la vérité : il peint la valeur brillante du héros du Nord avec les plus vives couleurs, sa fermeté dans de certaines occasions, son obstination en d’autres, sa prospérité et ses malheurs.

Après avoir éprouvé ses forces sur Charles XII, il essaya de hasarder l’histoire du Siècle de Louis XIV. Ce n’est plus le style romanesque de Quinte-Curce qu’il emploie : il y substitua celui de Cicéron, qui, plaidant pour la loi Manilia, fait l’éloge de Pompée. C’est un auteur français qui relève avec enthousiasme les événements fameux de ce beau siècle ; qui expose dans le jour le plus brillant les avantages qui donnèrent alors à sa nation une prépondérance sur d’autres peuples, les grands génies en foule qui se trouvèrent sous la main de Louis XIV, le règne des arts et des sciences protégés par une cour polie, les progrès de l’industrie en tout genre, et cette puissance intrinsèque de la France qui rendait en quelque sorte son roi l’arbitre de l’Europe.

Cet ouvrage unique méritait d’attirer à M. de Voltaire l’attachement et la reconnaissance de toute la nation française, qu’il a mieux relevée qu’elle ne l’a été par aucun de ses autres écrivains.

C’est encore un style différent qu’il emploie dans son Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations ; le style en est fort et simple ; le caractère de son esprit se manifeste plus dans la façon dont il a traité cette histoire que dans ses autres écrits. On y voit la fougue d’un génie supérieur qui voit tout dans le grand, qui s’attache à ce qu’il y a d’important, et néglige tous les petits détails. Cet ouvrage n’est pas composé pour apprendre l’histoire à ceux qui ne l’ont pas étudiée, mais pour en rappeler les faits principaux dans la mémoire de ceux qui la savent. Il s’attache à la première loi de l’histoire, qui est de dire la vérité ; et les réflexions qu’il y sème ne sont pas des hors-d’œuvre, elles naissent de la matière même.

Il nous reste une foule d’autres traités de M. de Voltaire qu’il est presque impossible d’analyser. Les uns roulent sur des sujets de critique ; dans d’autres ce sont des matières métaphysiques qu’il éclaircit ; dans d’autres encore, d’astronomie, d’histoire, de physique, d’éloquence, de poétique, de géométrie. Ses romans mêmes portent un caractère original : Zadig, Micromégas, Candide, sont des ouvrages qui, semblant respirer la frivolité, contiennent des allégories morales ou des critiques de quelques systèmes modernes, où l’utile est inséparablement uni à l’agréable.

Tant de talents, tant de connaissances diverses réunies en une seule personne, jettent les lecteurs dans un étonnement mêlé de surprise.

Récapitulez, messieurs, la vie des grands hommes de l’antiquité dont les noms nous sont parvenus, vous trouverez que chacun d’eux se bornait à son seul talent. Aristote et Platon étaient philosophes ; Eschine et Démosthène, orateurs ; Homère, poëte épique ; Sophocle, poëte tragique ; Ana-