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ÉLOGE DE VOLTAIRE


rappellerai-je, messieurs, les témoignages d’admiration et de reconnaissance que les Parisiens rendirent à ce grand homme durant son dernier séjour dans sa patrie ! Il est rare, mais il est beau que le public soit équitable, et qu’il rende justice de leur vivant à ces êtres extraordinaires que la nature ne se complaît de produire que de loin en loin, afin qu’ils recueillent de leurs contemporains mêmes les suffrages qu’ils sont sûrs d’obtenir de la postérité !

L’on devait s’attendre qu’un homme qui avait employé toute la sagacité de son génie à célébrer la gloire de sa nation en verrait rejaillir quelques rayons sur lui-même : les Français l’ont senti, et, par leur enthousiasme, ils se sont rendus dignes de partager le lustre que leur compatriote a répandu sur eus et sur le siècle. Mais croirait-on que ce Voltaire, auquel la profane Grèce aurait élevé des autels, qui eût eu dans Rome des statues, auquel une grande impératrice[1], protectrice des sciences, voulait ériger un monument à Pétersbourg ; qui croira, dis-je, qu’un tel être pensa manquer dans sa patrie d’un peu de terre pour couvrir ses cendres ? Eh quoi ! dans le dix huitième siècle, où les lumières sont plus répandues que jamais, où l’esprit philosophique a tant fait de progrès, il se trouve des hiérophantes plus barbares que les Hérules, plus dignes de vivre avec les peuples de la Taprobane qu’au milieu de la nation française ! Aveuglés par un faux zèle, ivres de fanatisme, ils empêchent qu’on ne rende les derniers devoirs de l’humanité à un des hommes les plus célèbres que jamais la France ait portés. Voilà cependant ce que l’Europe a vu avec une douleur mêlée d’indignation.

Mais, quelle que soit la haine de ces frénétiques, et la lâcheté de leur vengeance de s’acharner ainsi sur des cadavres, ni les cris de l’envie, ni leurs hurlements sauvages, ne terniront la mémoire de Voltaire. Le sort le plus doux qu’ils peuvent attendre est qu’eux et leurs vils artifices demeurent ensevelis à jamais dans les ténèbres de l’oubli ; tandis que la mémoire de Voltaire s’accroîtra d’âge en âge, et transmettra son nom à l’immortalité.

FIN DE L’ÉLOGE DE VOLTAIRE PAR LE ROI DE PRUSSE.


  1. Catherine II survécut vingt ans à cet éloge.