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ÉLOGE DE VOLTAIRE


d’un grand homme, si, en approchant de son tombeau (quel qu’il soit, hélas !), il peut dire : « La louange que je t’ai offerte a toujours été pure ; jamais elle ne fut ni souillée par l’intérêt, ni exagérée par la complaisance ; et comme l’adulation n’y ajouta rien tant que tu as vécu, l’équité n’en retranchera rien quand tu n’es plus ! »

Je vais parcourir cette longue suite de travaux qui ont rempli la vie de Voltaire. L’éclat de ses talents paraîtra s’augmenter de celui de ses succès, et l’intérêt qu’ils inspirent s’accroîtra par les contradictions qu’ils ont éprouvées. Cet homme extraordinaire s’agrandira encore plus à nos yeux par cette influence si marquée qu’il a eue sur son siècle, et qui s’étendra dans la postérité. En considérant sa destinée, nous aurons lieu quelquefois de plaindre celui qu’il faudra si souvent admirer ; nous reconnaîtrons le sort de l’humanité dans l’homme qui s’est le plus élevé au-dessus d’elle. Ce tableau du génie, fait pour rassembler tant de leçons et tant d’exemples, montrera tout ce qu’il peut obtenir de gloire et rencontrer d’obstacles ; et, en voyant tout ce qu’il peut avoir à souffrir, peut-être on sentira davantage tout ce qu’il faut lui pardonner.

PREMIÈRE PARTIE.

Il était passé ce siècle que l’on peut appeler celui de la France, puisqu’il fut l’époque de nos grandeurs, et qu’il a gardé le nom d’un de nos monarques. Déjà commençait à pâlir cette lumière des arts qui s’était levée au milieu de nous et répandue dans l’Europe ; ses clartés les plus brillantes s’étaient toutes éteintes dans la nuit de la tombe. La mort avait frappé les héros, les artistes, les écrivains. Fénelon avait fini ses jours dans l’exil ; la cendre de Molière n’avait trouvé qu’à peine où reposer obscurément ; Corneille avait survécu quinze ans à son génie ; Racine avait lui-même marqué un terme au sien ; et, enlevé avant le temps, il n’avait rempli ni toute la carrière de son talent, ni celle de la vie. Deux hommes seuls alors pouvaient rappeler encore la splendeur de cet âge qui venait de finir. On eût dit que Rousseau avait hérité de Despréaux même la science si difficile d’écrire en vers. L’âme tragique de Crébillon, après avoir jeté quelques lueurs sombres dans Atrée, et les plus beaux traits de lumière dans Électre, s’était enfin élevée dans Rhadamiste aux plus grands effets de l’art ; mais, après cet effort, il était tombé au-dessous de lui-même », il ne donnait plus que Sémiramis et Xerxès ; et Rousseau, sur nos frontières, corrompant de plus en plus son style, semblait avoir quitté le Parnasse en quittant la France ; lorsqu’Œdipe et la Henriade, qui se suivirent de près, annoncèrent au monde littéraire le véritable héritier du grand siècle, celui qui devait être l’ornement du nôtre, et qui, remarquable par la hardiesse de ses premiers pas, s’ouvrait déjà plus d’un chemin vers la gloire.

La nature, que nous voulons en vain assujettir à l’uniformité de nos calculs, et qui se plaît si souvent à les démentir par la diversité de ses pro-