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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/222

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ÉLOGE DE VOLTAIRE


dit, et non sans fondement, que pour nous l’épopée doit être placée dans ce favorable éloignement, dans cette perspective magique d’où naît l’illusion de tous les arts ; que la muse épique ne doit nous apparaître que dans le lointain, couverte du voile des allégories, entourée du cortége des fables, ainsi que d’un nuage religieux, d’où sa voix semble sortir plus imposante et plus majestueuse, comme ces divinités antiques, cachées dans la sombre horreur des furets, semblaient plus augustes et plus vénérables, à mesure qu’on les adorait de plus loin.

Je ne rejetterai point ces idées fondées sur le pouvoir de l’imagination ; mais aussi quel Français peut reprocher à Voltaire d’avoir choisi Henri IV pour son héros ? N’eut-il pas, au moins pour ses concitoyens, le mérite si précieux d’avoir chanté le seul de leurs rois dont la gloire soit devenue pour ainsi dire populaire ? n’eut-il pas, pour les connaisseurs de toutes les nations, cet autre mérite si rare de suppléer par des beautés nouvelles à celles qui lui étaient interdites ? C’est là qu’il déclare à la tyrannie, aux préjugés, à la superstition, au fanatisme, cette haine inexpiable, cette guerre généreuse qui n’admit jamais ni traité ni trêve, et qui n’a eu de terme que celui de sa vie. Pour la première fois, l’humanité entendit plaider sa cause en beaux vers, et vit ses intérêts confiés à l’éloquence poétique. Celle-ci avait plus d’une fois consacré dans Louis XIV les victoires remportées sur le monstre de l’hérésie, victoires trop souvent déshonorées par la violence, que la religion même a pleurées : Voltaire lui apprit à célébrer d’autres triomphes, ceux de la raison sur le monstre de l’intolérance : triomphes purs, et qui ne coûtent de larmes qu’aux ennemis du genre humain.

Des vérités d’un autre ordre ont paru dans ce même ouvrage revêtues des couleurs de la poésie. Uranie s’est étonnée de parler la même langue que Calliope. Ce n’était pas Lucrèce chantant les erreurs d’Épicure ; c’étaient les grands secrets de la nature, longtemps inconnus et récemment découverts, tracés dans le style de l’épopée avec autant d’exactitude qu’ils auraient pu l’être sous le compas de la philosophie[1]. Dans le même temps, et par un

  1. Lorsque, dans les Muses rivales, je fis dire à Uranie, en parlant de Voltaire :

    J’empruntai de ses vers la parure pompeuse ;
    Je parus étalant des vêtements nouveaux.
    Et gardant, sous les traits dont m’ornaient ses pinceaux.
                Une beauté majestueuse,
    Je ne dus qu’à lui seul ces brillants attributs.
                C’est par lui que la poésie
    Fit entendre des sons aux mortels inconnus.
                Et que le voile d’Uranie
                Devint l’écharpe de Vénus.

    M. Marmontel (à qui d’ailleurs je ne dois que des remerciements du compte très-avantageux qu’il rendit de la pièce dans le Mercure) observa que l’éloge était trop exclusif, et que Lucrèce et Pope, avant Voltaire, avaient fait parler Uranie en beaux vers. La remarque serait juste s’il eut été question de vérités morales et métaphysiques : elles ont été traitées par Pope d’une manière supérieure ; mais il est ici question du système de Newton, et par conséquent de physique. Il est vrai que Lucrèce a mis en vers celle d’Épicure ; mais cette philosophie erronée