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VIE DE VOLTAIRE.

Nous ne disculpons point Voltaire d’avoir donné son ouvrage à l’abbé de Chaulieu ; une telle imputation, indifférente en elle-même, n’est, comme on sait, qu’une plaisanterie. C’est une arme qu’on donne aux gens en place, lorsqu’ils sont disposés à l’indulgence sans oser en convenir, et dont ils se servent pour repousser les persécuteurs plus sérieux et plus acharnés.

L’indiscrétion avec laquelle les amis de Voltaire récitèrent quelques fragments de la Pucelle fut la cause d’une nouvelle persécution[1]. Le garde des sceaux menaça le poète d’un cul de basse-fosse, si jamais il paraissait rien de cet ouvrage. À une longue distance du temps où ces tyrans subalternes, si bouffis d’une puissance éphémère, ont osé tenir un tel langage à des hommes qui sont la gloire de leur patrie et de leur siècle, le sentiment de mépris qu’on éprouve ne laisse plus de place à l’indignation. L’oppresseur et l’opprimé sont également dans la tombe ; mais le nom de l’opprimé, porté par la gloire aux siècles à venir, préserve seul de l’oubli, et dévoue à une honte éternelle celui de ses lâches persécuteurs.

Ce fut dans le cours de ces orages que le lieutenant de police Hérault dit un jour à Voltaire : « Quoi que vous écriviez, vous ne viendrez pas à bout de détruire la religion chrétienne. — C’est ce que nous verrons, » répondit-il[2].

Dans un moment où l’on parlait beaucoup d’un homme arrêté, sur une lettre de cachet suspecte de fausseté, il demanda au même magistrat ce qu’on faisait à ceux qui fabriquaient de fausses lettres de cachet. « On les pend. — C’est toujours bien fait, en attendant qu’on traite de même ceux qui en signent de vraies. »

Fatigué de tant de persécutions, Voltaire crut alors devoir changer sa manière de vivre. Sa fortune lui en laissait la liberté. Les philosophes anciens vantaient la pauvreté comme la sauvegarde de l’indépendance. Voltaire voulut devenir riche pour être indépendant ; et il eut également raison. On ne connaissait point chez les anciens ces richesses secrètes qu’on peut s’assurer à la fois dans différents pays, et mettre à l’abri de tous les orages. L’abus des confiscations y rendait les richesses aussi dangereuses par elles-mêmes que la gloire ou la faveur populaire. L’immensité de l’empire romain, et la petitesse des républiques grecques, empêchaient également de soustraire à ses ennemis ses richesses et sa personne. La différence des mœurs entre les nations voisines, l’ignorance presque générale de toute langue étrangère, une moins grande communication entre les peuples, étaient autant d’obstacles au changement de patrie.

    volume qu’avec des lacunes ; mais elle est reproduite entière à la fin du volume pages 225-28.

  1. À la fin de 1735 et au commencement de 1736. Le garde des sceaux, persécuteur de Voltaire, était Germain-Louis Chauvelin, garde des sceaux de 1727 à 1737, mort en 1762.
  2. L’anecdote est rapportée par Voltaire dans une lettre à d’Alembert (voyez tome XL, page 431), comme concernant un des frères.