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VIE DE VOLTAIRE.

Le marquis d’Argenson fut appelé au ministère[1]. Il mérite d’être compté parmi le petit nombre des gens en place qui ont aimé véritablement la philosophie et le bien public. Son goût pour les lettres l’avait lié avec Voltaire. Il l’emplova plus d’une fois à écrire des manifestes, des déclarations, des dépêches, qui pouvaient exiger dans le style de la correction, de la noblesse, et de la mesure.

Tel fut le manifeste[2] qui devait être publié par le Prétendant à sa descente en Écosse, avec une petite armée française que le duc de Richelieu aurait commandée. Voltaire eut alors l’occasion de travailler avec le comte de Lally, jacobite zélé, ennemi acharné des Anglais, dont il a depuis défendu la mémoire avec tant de courage, lorsqu’un arrêt injuste, exécuté avec barbarie, le sacrifia au ressentiment de quelques employés de la compagnie des Indes.

Mais il eut dans le même temps un appui plus puissant, la marquise de Pompadour, avec laquelle il avait été lié lorsqu’elle était encore Mme  d’Étiole. Elle le chargea de faire une pièce pour le premier mariage du dauphin. Une charge de gentilhomme de la chambre, le titre d’historiographe de France, et enfin la protection de la cour, nécessaire pour empêcher la cabale des dévots de lui fermer l’entrée de l’Académie française, furent la récompense de cet ouvrage. C’est à cette occasion qu’il fit ces vers :

Mon Henri Quatre et ma Zaïre,
Et mon Américaine Alzire,
Ne m’ont valu jamais un seul regard du roi ;
J’eus beaucoup d’ennemis avec très-peu de gloire.
Les honneurs et les biens pleuvent enfin sur moi,
Pour une farce de la Foire.


C’était juger un peu trop sévèrement la Princesse de Navarre[3], ouvrage rempli d’une galanterie noble et touchante.

Cependant la faveur de la cour ne suffisait pas pour lui ouvrir les portes de l’Académie. Il fut obligé, pour désarmer les dévots, d’écrire une lettre au Père de Latour[4], où il protestait de son respect pour la religion, et, ce qui était bien plus nécessaire, de son attachement aux jésuites. Malgré l’adresse avec laquelle il ménage ses expressions dans cette lettre, il valait mieux sans doute renoncer à l’Académie que d’avoir la faiblesse de l’écrire ; et cette faiblesse serait inexcusable s’il avait fait ce sacrifice à la vanité de porter un titre qui depuis longtemps ne pouvait plus honorer le nom de Voltaire. Mais il le faisait à sa sûreté ; il croyait qu’il trouverait dans l’Académie un appui contre la persécution ; et c’était présumer trop du courage et de la justice de ses confrères.

  1. En novembre 1744 ; voyez tome XXXIV, page 462.
  2. Voyez ce manifeste, tome XXIII, page 203.
  3. Jouée le 23 février 1745 ; voyez tome IV, page 271.
  4. Cette lettre est du mois de mars 1746 ; voyez tome XXXVI, page 424.