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VIE DE VOLTAIRE.

La nature et l’hymen, voilà les lois premières,
Les devoirs, les liens des nations entières :
Ces lois viennent des dieux, le reste est des humains,


n’excitèrent d’abord que l’étonnement ; les spectateurs balancèrent, et le cri de la nature eut besoin de la réflexion pour se faire entendre. C’est ainsi qu’un grand poëte peut quelquefois décider les esprits flottants entre d’anciennes erreurs et les vérités qui, pour en prendre la place, attendent qu’un dernier coup achève de renverser la barrière chancelante que le préjugé leur oppose. Les hommes n’osent souvent s’avouer à eux-mêmes les progrès lents que la raison a faits dans leur esprit, mais ils sont prêts à la suivre si, en la leur présentant d’une manière vive et frappante, on les force à la reconnaître. Aussi ces mêmes vers n’ont plus été entendus qu’avec transport, et Voltaire eut le plaisir d’avoir vengé la nature.

Cette pièce est le triomphe de la vertu sur la force, et des lois sur les armes. Jusqu’alors, excepté dans Mahomet, on n’avait pu réussir à rendre amoureux, sans l’avilir, un de ces hommes dont le nom impose à l’imagination, et présente l’idée d’une force d’âme extraordinaire. Voltaire vainquit pour la seconde fois cette difficulté. L’amour de Gengiskan intéresse malgré la violence et la férocité de son caractère, parce que cet amour est vrai, passionné ; parce qu’il lui arrache l’aveu du vide que son cœur éprouve au milieu de sa puissance ; parce qu’il finit par sacrifier cet amour à sa gloire, et sa fureur des conquêtes au charme, nouveau pour lui, des vertus pacifiques.

Le repos de Voltaire fut bientôt troublé par la publication de la Pucelle.

Ce poëme, qui réunit la licence et la philosophie, où la vérité prend le masque d’une gaieté satirique et voluptueuse, commencé vers 1730, n’avait jamais été achevé. L’auteur en avait confié les premiers essais à un petit nombre de ses amis et à quelques princes. Le seul bruit de son existence lui avait attiré des menaces, et il avait pris, en ne l’achevant pas, le moyen le plus sûr d’éviter la tentation dangereuse de le rendre public. Malheureusement on laissa multiplier les copies ; une d’elles tomba entre des mains avides et ennemies, et l’ouvrage parut, non-seulement avec les défauts que l’auteur y avait laissés, mais avec des vers ajoutés par les éditeurs, et remplis de grossièreté, de mauvais goût, de traits satiriques qui pouvaient compromettre la sûreté de Voltaire. L’amour du gain, le plaisir de faire attribuer leurs mauvais vers à un grand poëte, le plaisir plus méchant de l’exposer à la persécution, furent les motifs de cette infidélité dont La Beaumelle et l’ex-capucin Maubert ont partagé l’honneur[1].

  1. L’honneur est, je crois, tout entier à Maubert ; je ne pense pas que La Beaumelle y fût pour rien. (B.)