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VIE DU VOLTAIRE.

En 1757 parut la première édition de ses œuvres[1], vraiment faite sous ses yeux. Il avait tout revu avec une attention sévère, fait un choix éclairé, mais rigoureux, parmi le grand nombre de pièces fugitives échappées à sa plume, et y avait ajouté son immortel Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[2].

Longtemps Voltaire s’était plaint que, chez les modernes surtout, l’histoire d’un pays fût celle de ses rois ou de ses chefs ; qu’elle ne parlât que des guerres, des traités, ou des troubles civils ; que l’histoire des mœurs, des arts, des sciences, celle des lois, de l’administration publique, eût été presque oubliée. Les anciens même, où l’on trouve plus de détails sur les mœurs, sur la politique intérieure, n’ont fait en général que joindre à l’histoire des guerres celle des factions populaires. On croirait, en lisant ces historiens, que le genre humain n’a été créé que pour servir à faire briller les talents politiques ou militaires de quelques individus, et que la société a pour objet, non le bonheur de l’espèce entière, mais le plaisir d’avoir des révolutions à lire ou à raconter.

Voltaire forma le plan d’une histoire où l’on trouverait ce qu’il importe le plus aux hommes de connaître : les effets qu’ont produits sur le repos ou le bonheur des nations les préjugés, les lumières, les vertus ou les vices, les usages ou les arts des différents siècles.

Il choisit l’époque qui s’étend depuis Charlemagne jusqu’à nos jours ; mais, ne se bornant pas aux seules nations européannes[3], un tableau abrégé de l’état des autres parties du globe, des révolutions qu’elles ont éprouvées, des opinions qui les gouvernent, ajoute à l’intérêt et à l’instruction. C’était pour réconcilier Mme  du Châtelet avec l’étude de l’histoire qu’il avait entrepris ce travail immense, qui le força de se livrer à des recherches d’érudition qu’on aurait crues incompatibles avec la mobilité de son imagination et l’activité de son esprit. L’idée d’être utile le soutenait ; et l’érudition ne pouvait être ennuyeuse pour un homme qui, s’amusant du ridicule, et ayant la sagacité de le saisir, en trouvait une source inépuisable dans les absurdités spéculatives ou pratiques de nos pères, et dans la sottise de ceux qui les ont transmises ou commentées en les admirant avec une bonne foi ou une hypocrisie également risibles.

  1. L’édition faite à Genève par les frères Cramer porte en effet le titre de Première édition. Il y en a des exemplaires sous la date de 1756, et d’autres avec la date de 1757. Mais cette édition, faite par les frères Cramer, n’était pas la première des Œuvres de Voltaire ; voyez la Préface de Beuchot en tête du présent volume, et la Notice bibliographique à la fin du tome L.
  2. Les premières éditions, données par l’auteur, étaient intitulées Essai sur l’Histoire générale, etc. ; mais avant ces éditions on avait imprimé, en 1753, deux volumes in-12 avec le nom de Voltaire, sous le titre d’Abrégé de l’Histoire universelle.
  3. Voltaire avait adopté ce mot ; voyez sa note, tome V, page 298.